[interview] Jean-Michel Sterdyniak : "Aucune procédure administrative d’inaptitude n’est prioritaire sur la lutte contre l’épidémie"

[interview] Jean-Michel Sterdyniak : "Aucune procédure administrative d’inaptitude n’est prioritaire sur la lutte contre l’épidémie"

01.04.2020

HSE

"Dans une situation de crise sanitaire, la DGT demande aux services de santé au travail de respecter des textes qui ne sont déjà pas respectés en temps normal", proteste le médecin du travail et secrétaire général du SNPST, Jean-Michel Sterdyniak. L'instruction de la DGT aux services leur demande notamment de d’organiser en priorité et sans délai les visites d’embauche et d’aptitude pour les secteurs dits stratégiques, mais aussi de considérer comme prioritaires les visites de reprise ou les procédures d’inaptitude. Le médecin rappelle que le rôle de la médecine du travail n'est pas de faire de la sélection à l’embauche.

Le 18 mars 2020, une instruction de la DGT fixe les lignes directrices pour l'action des services de santé au travail durant la crise sanitaire. Alors qu’il est prévu un maintien de certaines visites médicales prioritaires, le SNPST (syndicat national des professionnels de la santé au travail) estime "qu’aucune sécurisation juridique ne peut justifier la mise en danger des salariés et des professionnels de santé au travail" et qu'"aucune procédure administrative d’inaptitude n’est prioritaire sur la lutte contre l’épidémie".

► Jean-Michel Sterdyniak est médecin du travail dans un service de santé au travail interentreprises de Seine-Saint-Denis, et secrétaire général du SNPST.

 

Lire aussi : Coronavirus : une instruction fixe les lignes directrices pour les services de santé au travail

 

 
L’instruction de la DGT prévoit d’organiser en priorité et sans délai les visites d’embauche et d’aptitude dans les secteurs stratégiques afin d’assurer la continuité de la vie de la nation. En quoi cela vous parait-il contestable ?

Jean-Michel Sterdyniak : Ces salariés doivent être préservés et la meilleure façon de faire de la prévention est d’éviter de les surexposer en les convoquant à des visites médicales. Ces visites n’ont aucun caractère d’urgence. En région parisienne, les visites d’information et de prévention réalisées préalablement ou suivant l’embauche sont toujours effectuées hors délai. Hormis pour les salariés en charge du désamiantage, l’examen médical d’aptitude dans le cadre d’un suivi individuel renforcé n’est pas non plus organisé dans les délais prévus par le code du travail.

Dans une situation de crise sanitaire, la DGT nous demande de respecter des textes qui ne sont déjà pas respectés en temps normal. Les employeurs ne sont pas idiots, ils ne vont pas demander en pleine épidémie une visite médicale pour un cariste, comme le précise pourtant l’instruction de la DGT.  D’autant qu’il est rarissime qu’un médecin du travail déclare une inaptitude lors d’une première visite. Le rôle de la médecine du travail est de protéger la santé des salariés et non de faire de la sélection à l’embauche.

Nous sommes opposés aux visites d’aptitude qui n’ont aucun sens. Les accidents du travail sont rarement liés à des aspects d’ordre médical, ils sont le plus souvent entrainés par des problèmes d’organisation du travail.

Les visites de reprise ou les procédures d’inaptitude sont aussi pointées comme pouvant être prioritaires. Ne sont-elles pas indispensables pour protéger les salariés ?

Jean-Michel Sterdyniak : Les services de santé au travail s’inscrivent dans la prévention, la prévention de l’épidémie est de rester chez soi et d’éviter les contacts. Il serait insensé de convoquer un salarié fragilisé par un problème de santé pour une visite de reprise. Si une personne est en arrêt de travail et qu’elle ne peut effectuer son activité en télétravail, il est préférable qu’elle puisse prolonger son arrêt. De même, aucune procédure administrative d’inaptitude n’est prioritaire sur la lutte contre l’épidémie. Nous n’allons pas réaliser des études de poste en milieu de travail vu les circonstances. Cela dit, nous avons beaucoup moins de demandes d’inaptitude qu’en temps normal.

Des SSTI, en Île-de-France ou dans d’autres régions, ont laissé ouverts certains de leurs centres médicaux pour assurer ces visites prioritaires. Est-ce le cas de votre service ?

Jean-Michel Sterdyniak : Nous avons reçu une note complémentaire signée des médecins inspecteurs du travail de la Direccte Île-de-France qui atténue l’instruction de la DGT. Lorsque l’accueil physique paraît compliqué ou risqué, l’idée est d’organiser un entretien par téléphone avec la personne pour donner une réponse à l’employeur sur la possibilité de pouvoir la faire travailler ou non, en précisant bien qu’une visite officielle pourra être programmée par la suite. Cette note complémentaire évoque toujours la possibilité de visite en présentiel dans certains cas comme les inaptitudes ou les embauches de salarié dans le nucléaire.

Notre service n’a pas souhaité quant à lui garder de centres ouverts afin de ne pas faire courir de risques aux salariés, ni aux professionnels de santé au travail.

Comment assurez-vous dans ce cadre la continuité de vos missions ?

Jean-Michel Sterdyniak : Si nous n’organisons pas de visites en présentiel, il ne s’agit pas non plus de ne rien faire. Les services de santé au travail doivent participer aux efforts de la nation : ils peuvent se rendre utiles car force de conseil, pour les salariés et pour les employeurs, en restant disponibles en télétravail ou en rejoignant le service sanitaire.

De notre côté, nous avons organisé une permanence médicale et les médecins du travail sont joignables par mail ou par téléphone, voire en visioconférence si nécessaire. Nous sommes sollicités par les employeurs ou les représentants du personnel en grande majorité pour des conseils de prévention des risques liés au coronavirus. Les 10 médecins du travail de notre service se relaient pour animer cette permanence, et chacun d’entre nous continue de s’occuper de ses entreprises pour apporter des réponses plus complètes.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Joëlle Maraschin
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